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BIBLIOTHÈaUE
s^
DES HAUTES ÉTUDES
DU M1NIS1KRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES
CEIfT-DOUZltKE nSCIGliLI
QUATR1ÈUE PAItTIE DE r,A CHRONIQUE SYRIAQUE
DE DENÏS DE TELL-MAimÉ
PUBLIÉE d"apBÈS le manuscrit CLXII DE LA BIBLIOTHÈQUE VATICANE
AVEC UNE TRADUCriON FRANÇAISE
UNE INTRODUCTION ET DF9 NOTES HISTORIQL'ES ET PHII.OI.OCIQIES
PAR M. J,-B. CHABOT.
PARIS
IJBRAIHIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR
67. RUE DK IIKHKLIKU, AU PRFMIKR 1895
K
i Ô9057
CHALON-SUR-SAONE, IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE DE L. MARCEAU
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CHRONIQUE
DE
DENYS DE TELL-MAHRÉ
QUATRIKMF? PARTIE
CHALON-SUR-SAONE, IMP. FRANÇAISE BT ORIENTALE DE L. MARCEAU
CHRONIQUE
DE
DENYS DE TELL-MAHRÉ
QUATRIÈME PARTIE
PUBLIÉE ET TRADUITE PAR
J.-B. eH*BOT
TRADUCTION FHAXÇAISE
PARIS
IJBUAIlilE EMILE BOUILLON, ftniTKLK
67, RUK DE RtUMEI.IKl', AU PHKMIER 1895
Sur Tavis de M. Ch. Clbrmont-Ganneau, directeur de la Conférence d'Archéologie orientale, et de MM. A. Carrière et H. Derenbourg, commissaires responsables, le présent mémoire a valu à M. Jean-Baptiste Chabot le titre à! Élève diplômé de la Section d'histoire et de philologie de C École pratique des Hautes Études,
Paris, le 7 janvier 1894.
Le Directeur de la Conférence Les Commissaire» responsables^ d'archéologie orientale.
Signé: A. Carrière, Signé : Ch. Clkrmont-Ganneau,
H. Derenbourg.
Le Président de la Section, Signé : G. Paris.
««
J
A MONSIEUR
CLERMONT-GANNEAU
MEMBRE DE l'iNSTITUT DIRECTEUR d'ÉTUDES A L'kCOLE DES HAUTES ÉTUDES
HOMMAGE RESPECTUEUX DE SON ÉLÈVE
INTRODUCTION
DENYS DE TELL-MAHRÉ
SA VIE. — SES ÉCRITS
/
I
Denys, patriarche des Syriens jacobites', auteur de l'ou- vrage que nous publions aujourd'hui, figure au premier rang parmi les écrivains de sa secte qui florissaient au ix® siècle.
Ses écrits, — du moins ceux qui sont parvenus jusqu'à nous^ — ne fournissent aucun renseignement sur sa vie. Mais sa biographie nous a été conservée avec assez de dé- tails dans la Chronique ecclésiastique de Bar HébréusV
Denys naquit en Mésopotamie, au petit village de Tell- Mahré, situé près de la rivière du Balikh, entre les localités actuelles de Er-Rakkah, l'ancienne Callinice, et de Hins- Maslamab*. Nous ne connaissons ni le nom ni la condition de ses parents^ ni même l'année de sa naissance que nous devons placer, par conjecture, vers la fin du vin® siècle.
Il fit son noviciat dans la vie religieuse au monastère de Qen-Nésrê*. Ce couvent, fameux dans l'histoire des Jaco-
1. C'est-à-dire des Syriens monopby sites. Cf. Assbmani, Dissert, de Syris monophysitis^ passim.
2. Bar HsBRiBi Chronicon ecclesiaslicum, éd. Abbeloos et Lamy. Loyanii, 1S72. t. ], coll. 343-386. — C'est toujours à cette édition que se rapportent nos citations de la Chronique ecclésiastique de Bar Hébréiis.
3. Cl. HOPPMANN. Z. D. M, b., t. XXXII (1878), p. 742, n. 2.
4. Ce monastère est aussi appelé couvent de Bar Aphtonius (Bar Hbbr., Chron. eccles,, 1, 259).
X DENYS DE TBLL-MAHRÉ
bites, était situé près de la ville de ce nom, cité très florissante au moment de la conquête musulmane, qui n'est plus aujourd'hui qu'une misérable bourgade sur les bords du Covaïc, à une bonne journée de marche au sud d'Alep'.
Le monastère était, à cette époque troublée, un véritable centre de culture intellectuelle. Les lettres grecques surtout y étaient enseignées avec succès. C'est là que furent initiés aux connaissances helléniques deux des hommes qui firentle plus grand honneur à la littérature syriaque : Thomas d'Héracloe, auteur de la recension du Nouveau Testament qui porte son nom, et Jacques d'Édesse, l'auteur le plus uni- versel qui ait écrit en langue syriaque*.
Nous ne savons pas combien de temps Denys put jouir en paix des loisirs de l'étude à Qen-Nésrê. Le couvent fut détruit par un incendie, en 815, et cet accident amena forcé- ment la dispersion des moines.
Denys se retira alors au couvent de Mar Yaqoub, à Kaisoum, entre Alep et Édcsse', dans le district de Sa- mosate, autre monastère célèbre qui devint même plus tard momentanément le lieu de résidence du patriarche jacobite*.
Quelques auteurs ont cru, à la suite d'Assemani', que Denys avait aussi mené la vie religieuse dans le monastère de Zouqcnin, près d'Amida. Mais, comme Ta fait observer Wright •, la phrase qui a donné lieu à cette supposition parait devoir s'entendre dans un tout autre sens. L'expres- sion de notre auteur qui appelle ce couvent « notre monas-
1. AssEMANi, Dissert, de Syris monophys,, p. 85. Rittbr, Erdhunde WesUAsien, XVl Th., V Abth., pp. 1592, 1597.
2. Ou lit aussi dans la vie du patriarche Julien (1595) qu'il avait appris le grec à Qen-Nésrô, et dans celle du patriarche Georges (f 790) qu'il y avait étudié les saintes écritures dans les livres syriaques et grecs. — Cfr. Assb- MANi, lUbl. or. A. I, p. 267, 290, 295 et 326.
3. AssEMANi, Dissert, de Syris monophys,, p. 75.
4. Bar HvAMiAiUS, Chron. écries.^ 1, 486.
5. Bibl, orient.^ t. 11, p. 98.
6. Syriac Literature, nouv. éd., p. 196.
INTRODUCTION XI
tère », signifie très vraisemblablement a notre monastère à nous jacobites », sans la moindre allusion à une relation personnelle entre l'auteur et ce lieu\
C'est donc à Qen-Nésrô et ensuite à Kaisoum, que Denys s'adonna aux études historiques.
Des troubles religieux le firent sortir de sa retraite et amenèrent son élection au patriarcat.
Le patriarche jacobite, Cyriaque, était engagé dans une vive controverse avec les moines de Cyrrhus et de Goubba- Barraya au sujet de l'emploi des mots pain céleste usités dans la liturgie. Les moines mécontents refusaient obstiné- ment de reconnaître son autorité et s'étaient choisi un pa- triarche dans la personne d'Abraham, moine du célèbre cou- vent de Qartamin, situé près de Mardin, en Mésopotamie*.
Cyriaque mourut en 817.
Selon Bar Hébréus* les moines de Cyrrhus et de Goubba, qui n'avaient pas réussi à entraîner de nombreux partisans, désiraienteux-mômesprofiter de cetévénementpourse réunir au reste de la secte. Ils allèrent trouver Tanti-patriarche Abraham et lui dirent : « Jusqu'à quand demeurerons-nous dans le schisme? Le patriarche Cyriaque qui voulait faire supprimer les paroles à propos desquelles nous nous sommes séparés, est mort. Il faut maintenant nous réconcilier avec rÉglise. » Abraham leur répondit : « N'ai- je pas moi-môme souffert l'ignominie à cause de vous? Attendons jusqu'après l'élection du nouveau patriarche. Si on choisit (juelqu'un qui emploie ces paroles, ne fût-ce qu'une seule fois, que je sois anathème si je n'abdique aussitôt ma dignité pour rentrer dans le silence. » Cet homme rusé et astucieux espérait que les évoques, dans la crainte de voir les dissensions se pro- longer, le choisiraient lui-môme pour patriarche.
Au mois de juin de Tannée 818, un synode de quarante-
1. Voir ci -dessous, p. 54.
2. Cfr. AssBMANi, Dissert, de Syris monophys.f p. 76.
3. Chron. eecL, col. 346.
XII DENYS DE TELL-MAHRÉ
cinq évoques se réunit à Callinice pour procéder à l'élection du patriarche, sous la présidence du maphrian Basile I*"". Le maphrian, qui avait son siège à Tagrit, était une sorte de métropolitain suprême qui exerçait sur les diocèses jacobites de la Mésopotamie et de la Syrie une autorité analogue à celle du patriarche sur les diocèses de l'Occident, et presque indépendante de ce dernier* . Abraham y vint lui-môme avec une bande de moines qui commencèrent à exciter de vives discussions au sujet des moU pain céleste.
Le synode s'occupa d'abord de cette question et finit par décider que chacun serait libre de réciter ou d'omettre ces paroles, selon son bon plaisir, sans qu'il pût être inquiété au sujet de sa conduite à cet égard.
On rétablit ensuite la paix entre le maphrian et les moines du couvent de Mar Mattaî, qui étaient aussi engagés dans une autre controverse dont nous parlerons plus bas.
Quand ces affaires furent réglées, on songea à procéder à l'élection du patriarche. Chacun des évêques prit la parole à son tour. Beaucoup d'entre eux déclarèrent qu'ils ne connais- saient personne dans les monastères de leur juridiction qui fût digne d'être élu. Quelques-uns proposèrent des per- sonnages célèbres, entre autres un certain Mar Euthonius, qualifié de Docteur et Interprète. L'évêque de Kaisoum, Théodore, prit la parole à son tour : « Il y a chez nous, dit-il, un frère du nom deDenys qui est venu du monastère de Mar Jean Bar Aphtonius, de Qen-Nésrô. Il y a deux ans qu'il est près de nous et nous savons qu'il est digne d'être choisi pour patriarche. » L'avis de Théodore prévalut. Les évêques souscrivirent à l'élection de Denys et donnèrent leur con- sentement par écrit, à commencer par le maphrian Basile qui présidait le synode.
Denys n'avait point été consulté. Il était simple moine et n'avait pas reçu les ordres. Théodore avait peut-être quelque soupçon des répugnances avec lesquelles le religieux
1. Cfr. ci-dessous, p. 8, n. S.
INTRODUCTION Xltl
accepterait la nouvelle de son élection. Toujours est-il qu'on prit les précautions nécessaires pour éviter un refus de sa part et l'obliger à accepter la dignité que le synode voulait lui conférer.
Denys nous avait retracé lui-même, dans ses Annales, le récit de son ordination. Le fragment a été conservé par Bar Hébréus*. En voici la traduction : « Jusqu'à ce jour je m'étais appliqué à l'histoire. Je n'ai loué ni blâmé quelqu'un en faisant acception de personne. Je cherchais un autre écrivain qui pût corriger mes erreurs et transmettre lui-même à la postérité ce qu'il aurait jugé bon dans mes écrits. Personne ne me connaît mieux que moi-même ; sans vouloir faire de la fausse humilité, je reconnais et confesse ma faiblesse et mon incapacité. J'étais le moindre et le plus méprisable des hommes. Cependant, je ne sais comment, les vénérables Pères furent prévenus, ou plutôt trompés, dans leur jugement sur moi. Comme des hommes simples, ajoutant foi à des rapports étrangers, ils envoyèrent deux moines courageux au monastère de Mar Yaqoub, où je résidais, car les moines de Qen-Nésré étaient dispersés. Ceux-ci étant donc venus vers moi, s'emparèrent de ma personne et me gardèrent à vue, comme un malfaiteur, jusqu'à l'arrivée des évoques qui me parurent encore plus durs et tout à fait sans pitié. Je fus conduit malgré moi au milieu du synode, et, tandis que je protestais, en pleurant et en me prosternant, de ma faiblesse et de mon incapacité, ils se jetèrent violemment sur moi^ et se levant de leurs sièges, ils se précipitèrent à mes pieds, bien que je proclamasse que le sacerdoce était chose diâScile à accepter, non seulement pour moi, homme vil et mépri- sable, mais môme pour ceux qui sont parvenus au sommet de la vertu. Il y avait à craindre que je ne persévérasse dans mon refus. Le vendredi ils m'ordonnèrent diacre dans le monastère du Pilier* ; le samedi ils me firent pi être dans le
1. Chron. eccL^ col. 340-351.
2. Ou couTeat de Bizooa, près de Callinice.
XIV DENYS DE TELL-MAHRÉ
couvent de Mar Zachéo ; enfin le dimanche l*'*'août 1129 (818) ils me promurent à l'ordre parfait du souverain sacer- doce, dans IVglise métropolitaine de la ville de ('allinice, et m'établirent héritier et possesseur des sièges, comme ils disent, moi qui ne suis pas môme digne de dénouer les cordons des souliers. » Ce fut Théodore, évoque de Callinice, qui lui imposa les
mains.
L'anti-patriarche Abraham devint furieux en voyant ses espérances trompées. S'adressant aux évécjues de Goubba- Barraya qu'il avait amenés avec lui : « Voyez, leur dit-il, ce qu'ont fait lesévêques; ils se sont choisi un patriarche dans un couvent où la formule pain céleste a été abolie. Mainte- nant donc, par la parole de Dieu, je vous prescris de laisser mon corps sans sépulture jusqu'à ce que vous ayez établi un autre patriarche pour me remplacer, et je vous défends de vous réconcilier avec ceux-ci. »
Comme on le voit, les débuts du nouveau patriarche ne s'annonçaient pas sous des auspices favorables.
Denys, plein de zèle et de bonne volonté, entreprit, aussitôt après son élection, la visite du territoire soumis à sa juridiction et commença par la région septentrionale. Il essaya de ramener à l'obéissance les habitants de la Cyrrhes- tique qui avaient suivi dans le schisme les moines de la capitale. Ces derniers paraissaient d'ailleurs beaucoup moins attachés à leur opinion que ceux de Goubba-Barraya.
Il se rendit donc àCyrrhus où le peuple s'assembla avec les prêtres et les diacres. Ayant appris qu'il ne défendait pas l'usage des paroles : pain céleste, ils s'attachèrent à lui. Ce premier succès ne fut pas de longue durée. L'antipa- triarche Abraham ayant lancé une sentence d'excommuni- cation contre les habitants de Cyrrhus, ceux-ci se séparèrent de Denys.
Le patriarche quitta Cyrrhus pour aller à Antioche, lieu du siège patriarcal, avec l'intention de se rendre ensuite à Bagdad en traversant la Mésopotamie. Il lui fallait en effet
INTRODUCTION XV
obtenir du pouvoir civil un diplôme de confirmation de son autorité. Depuis l'invasion musulmane, ces diplômes étaient indispensables aux patriarches de toutes les confessions. Ce n'était pas une simple approbation de Tëlection déjà faite, mais en même temps une reconnaissance, ou plutôt une sorte de délégation de l'autorité judiciaire que les évêques con- tinuaient d'exercer, avec l'agrément de la puissance civile, dans les affaires litigieuses des chrétiens soumis à leur juri- diction. Ces diplômes n'étaient accordés le plus souvent qu'au prix de fortes sommes \
Le khalife était alors Âl-Ma*moun\ aussi connu sous le nom de ^Abdallah III ; ce prince était bon et tolérant, protec- teur éclairé des lettres et des arts. Il accorda sans difficulté le diplôme d'usage, et le patriarche reprit le chemin de la Syrie.
Les habitants deTagrit avaient invité le patriarche, lors de son retour, à passer chez eux la fête de Pâques; mais le maphrian Basile avait, de son côté, écrit à Denys pour le dis- suader d'accepter les offres bienveillantes de ses diocésains, lui disant « que le moment présent, où les chrétiens venaient d'être opprimés par un récent édit de l'autorité civile, était inopportun». Le patriarche abandonnant donc la route de Tagrit etde Mossoul, prit le chemin de l'Euphrate, gagna Circesium, séjourna quelque temps dans les villages de la région du fleuve Haboura, et remontant ce cours d'eau, visita la célèbre ville de Nisibe et la florissante cité, aujour- d'hui ruinée, de Dara. Du village de Kepher-Touta, il regagna Callinice, pour saluer l'émir *Otman, gouverneur de la région. Il obtint de celui-ci l'autorisation de faire recons- truire le couvent de Qen-Nésrê, détruit par un incendie, comme nous l'avons dit plus haut.
Près de Téléda, aujourd'hui Hasya ou ïJassieh, dans le
1. Cfr. Éloge de Mar Ùenha, par le moine Jean, publié par nous dans le Journ, Asiatique^ IX* série, t. V, p. 131, n.
2. Cfr. Wbil, Geschichte der Chaliphen, II, pp. 200-294.
XVI DENYS DE TELL-MAHRÉ
désert de Syrie, sur la route de IJonis à Damas, se trouvait un couvent imporUint connu sous le nom de monastère d'Eusebona, qui devait surtout sa réputation au séjour qu'avait fait dans son enceinte le célèbre stylite saint Siméon. Les moines de ce couvent avaient embrassé le parti d'Abraham. Le patriarche, en regagnant Antioche, les visita et les ramena à l'obéissance.
A cette nouvelle inattendue, Abraham se rendit à Callinice près de Témir 'Abdallah Ibn Tahir dans le but de s'assurer la protection de ce dernier. Denys, averti du fait, se rendit de son côté près de 'Abdallah. Les deux adversaires furent introduits en présence de l'émir et admis à faire valoir leurs arguments.
Bar Hébréus raconte ainsi l'issue de cette entrevue' : « Après beaucoup de discours de part et d'autre, l'émir com- manda à l'un des siens de sortir et d'interroger les chrétiens qui se tenaient à la porte, pour savoir quel était leur pa- triarche. La multitude s'écria: « Abraham n'est point notre patriarche, il n'est pas même chrétien. » L'émir s'emportant alors contre Abraham : «Je vois bien, lui dit-il, que tu n'es qu'un menteur et un imposteur. » Il ordonna en outre de le dépouiller des ornements patriarcaux et le chassa en lui disant: « Que je ne t'entende plus appeler patriarche. Va, retourne à ta solitude, et congédie les moines qui sont avec toi. » Denys rentra à Antioche, heureux de son succès. Mais les partisans d'Abraham ne se tinrent pas pour battus.
L'antipatriarche avait un frère nommé Siméon, homme très audacieux, qui se chargea de rétablir les affaires des dissidents, fort compromises par le jugement de *Abdallah.
•Ali, le gendre du Prophète, avait, disait-on, autrefois octroyé un diplôme au monastère de Goubba-Barraya, con- cédant certains privilèges à ce couvent*. On tira le vénérable
1. Chron, eccL, col. 356.
2. Les prétendues concessions de diplômes faites par *Ali sont très nom- breuses. Voir une communication à ce sujet dans les Mémoires du Congrès des Orientalistes de Genèce (1894).
INTRODUCTION XVII
parchemin des archives et on le confiai Siméonqui se rendit à Bagdad, muni du précieux document.
Il manœuvra si bien dans la capitale, et les partisans de *Ali furent, paraîtril, si touchés en voyant l'écriture de leur ancêtre, qu'ils lui obtinrent de Ma'moun un diplôme annulant la décision de Témir* Abdallah.
Siméon revint en hâte à Callinice, où il réunit un grand nombre de moines. Denys, prévenu des agissements de ses adversaires, y accourut aussi et plaida chaleureusement sa cause auprès de l'émir. Cependant, 'Abdallah, en voyant le diplôme du khalife rapporté par Siméon, hésita quelque temps sur le parti qu'il devait prendre. Il se décida enfin à expédier lui-môme un messager à Bagdad. L'envoyé revint au bout de vingt jours apportant un nouvel édit de Ma*moun annulant le diplôme accordé à Siméon.
^Abdallah livra Abraham à la discrétion du patriarche. Selon l'ujage des jacobites, le patriarche ne peut sortir de sa demeure sans être coiffé de la coussila, sorte de tiare somi- sphérique, considérée comme insigne de sa dignité. Denys se contenta d'arracher la coussita qui recouvrait la tête d'Abraham et chassa celui-ci de sa présence.
L'an ti patriarche retourna à Cyrrhus. Bientôt il excita de nouveaux troubles parmi les chrétiens de cette ville. La nouvelle en parvint aux oreilles de l'émir 'Abdallah qui le fit amener, enchaîné comme un malfaiteur, et le fit dépouiller de ses vêtements en sa présence et en celle de ses familiers, afin de le couvrir de confusion, dans l'espoir qu'il cesserait de fomenter la division. Malheureusement pour Denys, il n'en fut rien.
En 825, 'Abdallah fut envoyé en Egypte pour apaiser la rébellion de *Obaidallah Ibn as-Sarl\ Il resta dans ce pays en qualité de gouverneur jusqu'en 827. Son frère, Mohammed Ibn Tahir, avait été nommé à sa place gouverneur de la
1. Cfr. WÛ8TENFELD. Die Statthalter oon yEgypten, l Ablb., p. 32 sqq. De Sacy, Relation de C Egypte, par Abd-Allatif, pp. 501-508, 552^57.
XVIII DENYS DE TBLL-MAHRÉ
Mésopotamie. Loin d'imiter ^Abdallah dans sa modération, il sipnala son arrivée par une violente persécution contre les chrétiens. Les Édosseniens surtout curent à souffrir de sa part. La plupart des édifices religieux qu'ils avaient cons- truits avec l'autorisation des khalifes furent détruits ou con- vertis en mosquées. En présence des maux qui affligeaient son peuple, Denys se décida à entreprendre le voyage d'Egypte, pour prier 'Abdallah d'intervenir près de son frère et de faire cesser la persécution.
La traversée ne fut pas heureuse. Une violente tempête jeta le navire dans le port de la ville de Tanis « qui est comme une île au milieu d'un lac formé par les branches du Nil et la Méditerranée ». Les chrétiens de la ville, au nombre d'environ trente mille, l'accueillirent avec empressement. Le patriarche jacobite d'Alexandrie, Jacques', vint aussi avec des évêques le visiter en cet endroit. Ils se réjouissaient de le voir, car depuis le temps de Sévère le Grand (f 617), aucun patriarche d'Antioche n'était venu en Égyptô.
Denys rappela à Jacques un pacte d'union, conclu autrefois entre les églises d'Antioche et d'Alexandrie, par les pa- triarches de ces deux sièges. Il avait été convenu que les lettres synodiques du patriarche d'Antioche seraient lues dans les églises soumises à la juridiction de celui d'Alexan- drie, et réciproquement.
Mais, observe Denys : « Nous avons constaté que chez eux on omettait ces lectures, parce que la science des livres était négligée. » Ce qui veut probablement dire qu'à cette époque les Alexandrins négligeaient complètement l'étude du syriaque, langue dans laquelle étaient rédigées les lettres du patriarche d'Antioche.
De ce lieu, Denys se rendit auprès de 'Abdallah Ibn Tahir, dans un endroit appelé le Camp des Perses. L'émir, qui le tenait en grande estime, l'accueillit favorablement : « Qu'a- vais-tu besoin, lui dit-il, d'entreprendre ce voyage fatigant,
1. Cfr. Rbnaudot, Hist. pair. Alexandr.^ p. 266 et suiv.
INTRODUCTION XIX
puisque tu pouvais t'adresser à moi par lettre? » Le patriar- che lui répondit par les compliments d'usage et lui exposa ensuite la triste situation faite aux chrétiens par son frère. L'émir, consentant à ses désirs, écrivit de sa propre main à Mohammed^ le blâmant de sa conduite et lui défendant de molester le patriarche ou de léser les privilèges des églises.
Encouragé par cette bienveillance, Denys voulut témoi- gner sa reconnaissance aux habitants de Tanis qui l'avaient si bien accueilli, en leur obtenant une diminution et une répartition plus équitable dos impôts. Chaque habitant riche ou pauvre était taxé pour cinq dinars, sans égard à sa condition. 'Abdallah statua qu'à l'avenir les riches payeraient quarante-huit zouzé, ceux de condition moyenne vingt, et les pauvres seulement douze.
Nous avons dit que les habitants d'Édesse surtout avaient eu à souffrir de la persécution excitée par Mohammed. Or, levèque d'Édesse, Théodose\ était le propre frère de Denys. Il avait accompagné ce dernier en Egypte, pour présenter à l'émir les doléances de ses ouailles. « Il est étonnant, dit Bar Hébréus*, qu'on ne trouve, dans les ouvrages de Denys, aucune mention de cet homme, qui fut pourtant un savant distingué. Il avait traduit du grec en syriaque les composi- tions poétiques du Tliéolo(]ien*,2i\i témoignage du moine Antoine le Rhéteur, dans son cinquième discours intitulé Rhétorique à Philoponos, où il vante sa connaissance éten- due de plusieurs langues. »
Le patriarche quitta l'Egypte et revint en Syrie, heureux du succès de ses démarches. Il espérait sans doute jouir enfin d'un peu de calme. Il n'en fut rien.
Les jacobites de Nisibe avaient alors pour évoque un intrigant nommé Philoxène. L'archidiacre Nonnus*, homme d'une grande piété et très considéré, l'accusa de crimes
1. Cfr. Wright, Syriac Literattuv, p. 203.
2. Chron. eccl.^coX, 362.
3. Saint Grégoire de Nazianzc.
4. Cfr. Wrigut, Syriac Literature, p. 205.
XX DENYS DE TELL-MAHRÉ
abominables, devant un synode de quarante évoques, réuni dans la petite ville de Ris*aln. Philoxène fut déposé.
Il se tourna dès lors du côté de Tan ti patriarche Abraham qui, on le conçoit, accueillit avec empressement cette nou- velle recrue. Une partie des chrétiens de Nisibe demeurèrent attachés à Philoxène : de là la division et le trouble dans cette église.
Au commencement de l'année 829, le patriarche se mit en route pour Bagdad, afin de conférer avec le sultan Al- Ma*moun au sujet d'un 6dit motivé par les dissensions sur- venues entre les Juifs à propos de l'élection de leur chef, édit dans lequel les chrétiens se trouvaient impliqués indirec- tement.
Les Juifs avaient eu à élire leur chef de la dispersion. Ceux de Tibériade avaient choisi un certain David; ceux de Babylone avaient donné leurs suffrages à un nommé Daniel, de la secte des 'Ânanites, qui profanaient le sabbat et obser- vaient le repos du quatrième jour de la semaine. L'affaire fut portée au tribunal de Ma*moun. Le khalife rendit un édit déclarant « que si dix hommes appartenant à la môme con- fession, réunis ensemble, voulaient se constituer un chef religieux, personne ne devait les en empêcher, quelle que fût leur religion; fussent-ils juifs, chrétiens ou mages ».
On voit combien ce décret favorisait le schisme et l'insu- bordination. Ce fut un des principaux motifs qui décidèrent le patriarche à entreprendre le long et dispendieux voyage de Bagdad.
Il y avait alors pour évèque jacobite dans cette ville un certain Lazare Bar Sabhtha, aussi connu sous les noms de Philoxène et de Basile, selon Assemani'. La plus grande par- tie des diocésains étaient hostiles à cet évèque. Dès l'arrivée du patriarche, avant même que celui-ci eût pu obtenir une audience du khalife, ils déposèrent entre ses mains une accusation contre Lazare. Le patriarche promit d'examiner
1. Cfr. Wright, Syriac Literature, p. 204.
INTRODUCTION XXI
TaSaire lorsqu'il serait de retour à Tagrit, afin que ces dis- cussions entre les chrétiens ne devinssent pas un sujet de dérision pour les païens, et peut-être aussi pour témoigner sa déférence au maphrian.
Le peuple impatient ne voulut rien entendre. On multplia les accusations et les preuves contre Lazare, et le patriarche fut contraint de le déposer. Mais Tévéque avait ses partisans; il s'ensuivit des troubles parmi les chrétiens et la chose parvint aux oreilles du khalife. Naturellement, les défen- seurs de Lazare rendirent le patriarche responsable de ces divisions. «Cependant, dit Bar Hébréus^ qui nous a conservé le récit détaillé de l'entrevue du patriarche et du khalife, — tiré probablement des écrits mêmes de Denys, — cependant, Ma^moun, en homme prudent, ne voulutpas molester un prélat venu de loin pour le saluer et lui offrir des présents. Quelque temps après, il accorda une audience au patriarche qui eut la permission de venir seul, sans les évéques de sa suite, trouver le khalife pendant que celui-ci faisait sa promenade à cheval dans son jardin. Le khalife tendit la main à Denys et lui dit : « Comment vas-tu? Comment vont tes affaires? » Le patriarche, après les compliments d'usage, commença par parler de l'affaire de Lazare qui, bien que jugé légalement, condamné et déposé, osait dire : « Il y a un édit qui permet à dix hommes d'entre nous de se choisir un chef. » Le khalife reprit : « Nous avons rendu cet édit pour les Juifs et nous n'avons pas l'intention de vous imposer de force un prélat. » Le patriarche reprit : « Ta prudence n'ignore pas que depuis le temps où nos pères vous ont livré un grand nombre de cités, il existe entre nous et vous des promesses et des traités assurant que nos lois ne seraient point modifiées en un sens défavorable. La loi ne peut exister sans législateur. Or, nous avons une loi touchant l'épiscopat. »
Le patriarche parla longuement. Le khalife l'interrompit enfin en lui disant : « Les chrétiens, et surtout vous autres
1. Chron. eecl, eol. 36&>872.
XXII DENYS DE TELL-MAHRÉ
jacobites, vous nous causez beaucoup d'ennuis. Va-t-en pour aujourd'hui et reviens un autre jour. »
Une dizaine de jours après le patriarche aborda un des familiers de Ma'moun, un certain Lazare, qui se chargea de
rappeler au khalife sa promesse. Le khalife répondit : « Qu'il vienne demain. » Il convoqua en môme temps ses juristes. Ceux-ci vinrent avec empressement. Ma*mouû les interrogea : « Devons-nous autant qu'il est en notre pouvoir protéger les évoques des chrétiens? Que vous en semble? w Les légistes ré[)ondirent : « Non, nous devons seulement ne pas les con- traindre par force à changer leur religion et leurs coutumes, pourvu toutefois qu'ils gardent l'obéissance et qu'ils vivent tranquilles, contents de la paix dont ils jouissent sous notre gouvernement. » Quand ceux-ci furent partis, le patriarche dit au khalife : « Tes ancêtres, d'heureuse mémoire, ont reconnu notre patriarcat et nous ont donné des diplômes, comme tu m'en as donné toi-môme. Qu'on ne porte donc pas maintenant une nouvelle loi contre nous. » Le khalife lui demanda : « Mais pourquoi donc cette loi est-elle plus oné- reuse pour les chrétiens que pour ceux qui professent d'autres religions? » Le patriarche répondit : « Les autres se plaignent aussi; mais, en outre, le pouvoir des juifs et des mages est un pouvoir temporel, le nôtre est un pouvoir spirituel. Chez eux, quand il est lésé, sa perte peut se com- penser au prix de l'or; chez nous, c'est notre foi même qui est atteinte. La preuve, c'est que les peines que nous pro- nonçons contre les coupables ne sont point la mort ou la spoliation des biens; mais s'il s'agit d'un évêque ou d'un prêtre, il est déposé; s'il s'agit d'un laïque, il est excommu- nié. » Le khalife reprit : « Nous ne vous empêchons point de déposer un coupable ni de le priver de sa dignité; mais nous pensons que vous n'avez pas le droit d'excommunier quelqu'un, ni de l'empêcher de venir à la prière, car ce sont surtout les pêcheurs qui doivent prier Dieu et lui de- mander pardon de leurs fautes. » Le khalife finit cependant par reconnaître le bon droit du
INTRODUCTION XXIII
patriarche. Il donna ses ordres à un juge nommé Lazare : « Examine Taffaire, lui dit-il, et si Tévêque Lazare est vrai- ment selon sa profession de foi le sujet du patriarche, qu'on exécute la sentence de ce dernier. »
Le patriarche quitta ainsi le khalife après avoir obtenu gain de cause et mérité des éloges pour sa constance.
Ces choses se passaient au mois de mars de Tan 829.
Denys demeura à Bagdad jusqu'au mois d'octobre. A cette époque il ordonna un évoque pour succéder à Lazare; puis il reprît le chemin d'Antioche. Il passa par Tagrit et par Mossoul. Sur ces entrefaites, le maphrian Basile étant mort dans le monastère de Anikia, près de Balada, ville située sur leTigre à une quinzaine de lieues de Mossoul, Denys ordonna pour lui succéder un moine nommé Daniel, du monastère de Bir-Koum, dans la même région. Au mois de décembre, il gagna la Syrie.
L'année suivante (830), le patriarche ayant appris que le khalife se trouvait à Kaisoum, se rendit dans cette ville pour lui présenter ses hommages. Mais il ne l'y rencontra point. Ma'moun était parti subitement pour Damas. Le patriarche prit le parti d'aller le rejoindre dans cette ville. Il lui fît remettre les présents qu'il avait apportés avec lui. Le khalife, satisfait, accueillit favorablement Denys. Il se disposait alors à descendre en Egypte et donna ordre au patriarche de l'accompagner dans ce pays.
L'expédition de Ma*moui> était motivée par la révolte des chrétiens de la basse Egypte, connus sous le nom de Basmou- riks'. Ils appartenaient à la secte des Jacobites. Le dessein du khalife était de leur envoyer Denys comme négociateur. Il espérait que le patriarche d'Antioche aurait assez de crédit pour amener les rebelles à la soumission. Mais les bonnes intentions du khalife et les efforts du patriarche
1. PocKOKB dans la version d'Eutychius (t. II, p. 429) les appeUe Bya- miUs, Bimaie, Byrmades; Lbquibn, Oriens christ,, t. II, p. 1373, les nomme Baammyrites,
XXIV DENYS DB TELL-MAÇRÉ
furent stérilisés par le mauvais vouloir du général Aphsin\ Celui-ci fit la guerre à outrance. Il détruisit lesvillages des chrétiens, brûla leurs vignes et leurs jardins, tua un grand nombre d'entre eux et envoya les autres chargés de fers à Antioche, d'où ils furent expédiés à Bagdad.
Le patriarche jacobite d'Alexandrie, Joseph*, s'était joint à Denys pour le seconder dans sa mission pacifique. Ces deux hommes voyant leurs efforts inutiles retournèrent près de Ma'moun. Denys déclara à celui-ci que les chrétiens avaient été injustement maltraités, et, avec la permission du khalife, il quitta l'Egypte pour se rendre à Damas.
Denys avait inséré dans ses écrits le récit de son voyage. Bar Hébréus nous en a conservé quelques fragments'. Ces extraits intéressants ne peuvent que nous faire regretter davantage la disparition des ouvrages de notre auteur.
Parlant du patriarche et des évoques égyptiens il s'exprime ainsi : a Nous les avons trouvés chastes, sincères, humbles, et pleins de Tamour de Dieu. Ils nous reçurent avec tant d'empressement qu'ils nous rendirent tous les honneurs réservés à leur patriarche, aussi longtemps que nous demeu- râmes parmi eux. Nous avons cependant observé chez eux des usages indignes de leur vertu. Ils n'étudient point les saintes Écritures; les moines surtout manquent de cette science. Ceux qui aspirent aux fonctions sacrées ne se préoccu- pent nullement d'acquérir les connaissances nécessaires, mais bien de recueillir la somme suffisante, car, à moins de deux ou trois cents dariques, personne ne peut parvenir à Tépis- copat. Nous les blâmâmes au sujet de ces choses. Le patriar- che nous répondit pour s'excuser qu'il avait trouvé établi cet usage coupable. Nous les avons aussi blâmés de ce qu'ils ne baptisent point les garçons avant le quarantième, ni les
T. Cfr. Wbil, Geschichte der Chaliphen y\ll, 246; Wûstbnpbld, op. cit., I Abth., pp. 40-43.
2. Cfr. Renaudot, Hist. patriarch. Alexandr,, p. 279 et siiiv.
3. Ghron. eccl,, coll. 375-3S2.
INTRODUCTION XXV
filles avant le quatre- vingtième jour aprè§ leur naissance; ce qui est cause que beaucoup d'enfants meurent sans avoir reçu le baptême. )>
Denys ne décrivait pas seulement les mœurs des régions qu'il traversa, mais au.^si les monuments.
« Nous vîmes là, dit-il, les obélisques d'Héliopolis, la capitale des Égyptiens, dont Putiphar, le beau-père de Joseph, était prêtre. Chaque obélisque est formé d'une seule pierre, haute de soixante coudées, large et épaisse de six; non pas d'une pierre tendre, mais d'une espèce de marbre. (Les trilithes de l'autre Héliopolis, c'est-à-dire de Baalbeck, ont seulement quarante coudées de hauteur.) Au sommet de chacun d'eux, il y a comme une sorte de casque de soldat en airain blanc. Chaque casque pèse plus de mille livres. C'est pourquoi les Arabes, malgré leur avarice, n'ont pu monter et les enlever, comme ils ont enlevé le colosse de l'île de Rhodes, dont ils ont retiré, après l'avoir renversé et brisé, trois mille charges d'airain. Jérémie avait prophétisé du Christ « qu'il briserait les colonnes du temple du soleil ». Il faut peut-être entendre cette destruction de rabolitîon du culte, puisque les colonnes ne sont pas brisées.
» Nous avons vu en Egypte ces pyramides dont parle le Théologien dans ses chants. Ce ne sont pas les greniers de Joseph, comme quelques-uns l'ont pensé, mais d'admirables édifices bâtis au-dessus des tombeaux des anciens rois. Ils sont massifs et pleins, et non pas creux et vides. Nous avons examiné l'ouverture qui existe sur le côté de l'une de ces pyramides : elle a environ quarante coudées de profondeur. Nous avons constaté que ces pyramides sont formées de pierres taillées superposées, de manière à former une basede cinq cents coudées de long sur autant de large, et dont les assises vont en diminuant, de sorte que le sommet n'a plus qu'une coudée. Elles ont deux cent cinquante coudées de hauteur. Chaque pierre mesure de dix à quinze coudées en tous sens. Elles apparaissent de loin comme de hautes mon-
tagnes.
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XXVI DENYS DE TELL-MAHRÉ
» J'ai vu aussi une construction bâtie sur le Nil, à un endroit où le fleuve coule encore dans son plein avant de se diviser en quatre branches. Cet édifice est comme une piscine carrée. Au milieu se dresse une colonne de pierre sur laquelle sont marqués des degrés et des mesures. Quand le fleuve déborde, au mois de septembre, et que les eaux entrent dans rédifice, les préfets de la ville viennent chaque jour pour, observer combien les eaux ont monté sur la colonne. Si elles restent au-dessous du quatorzième degré, il n'y a qu'une petite partie de l'Egypte inondée : on ne sème pas de blé, on ne perçoit pas d'impôt. Si elles atteignent le quinzième degré, il y a une récolte moyenne et l'impôt est en propor- tion. Quand elles arrivent à dix-sept ou dix-huit degrés les moissons et le tribut sont complets; mais si elles vont jus- qu'au vingtième degré elles causept la ruine, et il n'y a pas de moisson cette année-là. »
De nouvelles difficultés attendaient le patriarche en Syrie, à son retour de l'Egypte.
A